C’est un livre qui parle d’argent, mais pas que. Pour son livre Trust, Hernan Diaz a obtenu le Prix Pulitzer 2023 (fiction).
Au coeur du roman de l’écrivain argentino-américain : l’argent. Mais pas l’argent de la vente de pétrole ou de pizzas, non. L’argent de la finance (le fameux ennemi de François Hollande pendant sa campagne présidentielle). L’argent de Wall Street.
Et si le New York des années 1920-1930 n’était pas celui qu’on croyait ?
Trust : le cadre de l’intrigue, entre New York, Brooklyn et la Suisse
Pourquoi Hernan Diaz a-t-il situé l’intrigue dans les Années Folles, 1920 puis dans la Grande Dépression des années 1930 ? Pour leur côté iconique, très graphique.
A quoi pensez-vous quand on vous parle des années 1920 ? A l’élégance d’un Thomas Shelby dans la série Peaky Blinders ?
L’œuvre qui me vient immédiatement en tête, ce serait The Great Gatsby évidemment. La couverture de l’édition anglaise de Trust que j’ai achetée, c’est ça. Un miroir, des dorures, des plumes et une femme habillée comme on peut le faire quand on se déguise pour une soirée « Prohibition ».
La couverture de l’édition US, elle, met plutôt en avant un bâtiment (le 30 Rock, 30 Rockfeller Center, construit à peu près dans la même décennie que l’Empire State Building), et le côté inacessible des riches, préservés dans un monde “sous cloche”.
Ça parle de quoi ? Quelle est l’intrigue de Trust de Hernan Diaz ?
C’est probablement la partie la plus intéressante : comment pitcher le Prix Pulitzer 2023 sans rien révéler de l’intrigue, pour ne rien spoiler. Commençons par la table des matières…
La construction, l’architecture du livre est la suivante :
- Un roman
- Un manuscrit
- Un mémoire
- Un journal
Qui a (vraiment) écrit quelle partie ? On le découvre au fur et à mesure : on parle d’un roman à tiroirs, ou chaque nouvelle partie va nous éclairer sur la précédente, et qui sait, nous donner des clefs pour mieux comprendre la suivante.
Trust raconte l’histoire d’un Grand Homme, une sorte de Rockefeller, qui aurait fait fortune dans la finance et non le pétrole. En faisant son travail de recherche, Hernan Diaz s’est aperçu que les histoires des grands hommes ne laissaient que peu de places aux femmes, souvent reléguées au rang de secrétaire, femme ou victime.
Dans un jeu de miroirs, il nous mène sur des fausses pistes, à la recherche de la vérité d’un couple et d’un empire…
Le vrai pitch de Trust d’Hernan Diaz, en français
J’ai lu Trust de Hernan Diaz en anglais car j’étais trop impatient… Mais il est disponible en France depuis le 18 août 2023. Voici le résumé français du Prix Pulitzer 2023, proposé par l’éditeur :
« New York enflait de l’optimisme tapageur de ceux qui croient avoir pris de vitesse le futur. »
Wall Street traverse l’une des pires crises de son histoire.
Nous sommes dans les années 1930, la Grande Dépression frappe l’Amérique de plein fouet. Un homme, néanmoins, a su faire fortune là où tous se sont effondrés. Héritier d’une famille d’industriels devenu magnat de la finance, il est l’époux aimant d’une fille d’aristocrates. Ils forment un couple que la haute société new-yorkaise rêve de côtoyer, mais préfèrent vivre à l’écart et se consacrer, lui à ses affaires, elle à sa maison et à ses oeuvres de bienfaisance.
Tout semble si parfait chez les heureux du monde… Pourtant, le vernis s’écaille, et le lecteur est pris dans un jeu de piste.
Et si cette illustre figure n’était qu’une fiction ? Et si derrière les légendes américaines se cachaient d’autres destinées plus sombres et plus mystérieuses ?”
Ça donne envie, n’est-ce pas ? Mais attendez de comprendre le vrai coup de génie de l’auteur.
La difficulté technique… et la prouesse de la plume d’Hernan Diaz
Je suis copywriter. J’écris pour les autres : des articles, des posts Linkedin, des emails pour vendre, des publicités en ligne. A chaque fois, on me demande de changer de voix, de m’adapter à la marque, au produit, de m’adapter à ma cible aussi.
Mais au fond, ça reste du copywriting signé Sélim Niederhoffer. Signé Les Mots Magiques.
Un peu comme quand un client signe chez Fred & Farid, Marcel, Buzzman ou Publicis : il sait pourquoi il choisit cette agence plutôt qu’une autre. Pour trouver un ton qu’il ne trouvera pas ailleurs.
Changer de voix, changer de style, c’est compliqué. Et pourtant, quand vous allez lire les quatre parties du roman Trust, vous allez entendre quatre voix différentes.
Un roman qui se lit comme tel. Puis un manuscrit très direct, au ton mathématique, voire militaire. Un mémoire féminin. Et enfin un journal parfois énigmatique, et très musical.
Chacune des quatre parties a une identité propre, et on pourrait douter de l’identité de l’auteur à chaque fois, tant les différences sont perceptibles.
J’admire la virtuosité de l’auteur : incarner ces 4 narrateurs à la fois, sans jamais nous ennuyer ni en faire trop, en restant crédible, c’est très fort ! A qui faire confiance ? Qui dit la vérité dans ces quatre parties ?
Mon avis sur Trust de Hernan Diaz : j’ai un seul mini-reproche à faire à l’auteur
Lors de la 3ème partie, la plus dense, Hernan Diaz nous fait comprendre que son lecteur est une lectrice.
On aborde de manière détournée la notion de charge mentale, une des protagonistes voit son travail être récupéré par un homme, puis l’écrivain y va de son « gaslighting », terme qui n’existait pas à l’époque.
Il utilise le personnage d’Ida Partenza presque pour s’excuser d’être un homme.
C’est elle qui se demande ce que signifie « être féminine », c’est elle qui pointe du doigt la fortune faite sur le dos des esclaves par les ancêtres du magnat de la finance.
Cette partie-là, c’est celle où je me suis dit que l’auteur voulait coller aux thématiques actuelles.
Le reste du temps, le roman est un régal. Vous allez passer un bon moment !
Et non, je ne vous révèlerai rien ici sur la quatrième partie… Si vous avez lu le livre et voulez savoir ce que veut dire la fin, vous pouvez continuer de lire 🙂
Votre ami,
Sélim, qui recommande la lecture de Trust ! (dont le héros est très antisocial, lui aussi).
PS : le saviez-vous ? Hernan Diaz écrit encore au stylo. Pas à la machine à écrire. Pas sur son ordinateur, non. Stylo papier. Ça me bluffe.
PS2 : quand je passe du temps en librairie, c’est souvent pour trouver de belles couvertures. Pour trouver l’inspiration pour une couverture marquante.
La couverture française de Trust, aux Editions de l’Olivier me laisse froid. Tout ce rose. Pourquoi ?
Pour mettre l’accent sur « Pulitzer 2023 ». C’est dommage, on dirait que derrière, les buildings sont surmontés du Bat Signal… M’enfin. J’espère que les lecteurs seront curieux et iront au-delà de cette couverture moyenne.
Le résumé de Trust : pour ceux qui ont la flemme de lire le livre
Attention, cette section de l’article est garantie 100% spoilers.
Faites demi-tour si vous voulez découvrir le Pulitzer 2023 d’Hernan Diaz par vous-même.
Dans une ligne, il sera trop tard.
Trust. La confiance, en VF. La confiance est au cœur du couple. Mais un trust, c’est aussi un terme financier. Je reproduis ici 7 lignes de Wikipédia, j’aurais dû aller en cours de finances le vendredi matin…
« Le trust est un acte juridique unilatéral sanctionné par l’Equity1, dans lequel un individu ou une personne morale (le settlor) transfère des actifs au trust et confère le contrôle de ces biens à un ou plusieurs tiers ou à une ou plusieurs institutions — le(s) trustee(s) — pour le compte du ou des bénéficiaire(s).
Il est également possible que le trust existe pour atteindre un but spécifique2. Les bénéficiaires peuvent être le settlor lui-même, son époux(se), ses enfants, mais de nombreuses autres options sont possibles (par ex: des œuvres de charité ou des associations) »
C’est l’homonyme le plus important, qui prendra tout son sens à la fin du roman : la confiance, et le transfert des biens. C’est Mildred qui brillait dans l’ombre, mais tous les actifs étaient détenus par le mari, Andrew Bevel.
Première partie : Bonds. Les liens, encore une fois un double sens.$
Les liens du mariage, et les obligations, les créances. Encore un terme financier.
Dans cette première partie, on lit le roman d’Harold Vanner qui décrit la fortune amassée par Rask, le milliardaire, et la manière dont il rencontre sa femme, et finit par la tuer.
Bonds est une œuvre de fiction, et Vanner prend des libertés sur la narration. Le cancer qui emportera Mildred n’est pas assez grandiose : il décide de lui inventer une fin plus spectaculaire, qui nous indigne en tant que lecteur.
Deuxième partie :
On attaque donc la biographie de Bevel, « Ma vie » un poil remonté contre le grand homme, qui aurait sacrifié sa femme. Quand on le lit lui, on voit surtout un homme qui cherche à minimiser le rôle de Mildred, sa femme, dans sa vie. Son insistance est suspecte.
Troisième partie :
La vie d’Ida Partenza au service de Bevel. On suit brièvement une fausse piste de gangster de Chicago, et on est fasciné par le père anarchiste de la future journaliste.
Quatrième partie : Futures. Encore un terme financier.
Les révélations sont faites. En 1985, plus de 50 ans après les faits, Ida retourne chez Bevel et trouve le journal de Mildred. Elle y découvre que Bevel a effacé la « vraie » Mildred. Mildred n’était pas enfantine, fragile et discrète comme veut le faire croire Bevel. Elle n’aimait pas qu’on donne de l’argent en son nom pour des œuvres caritatives. Mais surtout, lors de l’enrichissement spectaculaire de Bevel, le cerveau mathématique derrière le crash de Wall Street en 1929, c’était elle, et non son mari.
Que veut dire la fin de Trust de Hernan Diaz ? Explication
A la fin du livre, en tant que lecteur, on se retrouve avec 4 points de vue différents de la même histoire, ou presque.
J’ai toujours aimé les histoires comme ça.
Harold Vanner a probablement grossi le trait pour rendre Rask détestable et qu’on ait pitié de sa femme Helen.
Bevel et sa biographie ? L’histoire est malléable, l’argent achète les gens et permet de réécrire la vérité.
Et le journal de Mildred ? Il nous révèle à quel point leur collaboration était inégale, combien elle en souffrait… mais aussi à quel point elle prenait plaisir à faire de Bevel une marionnette qui appliquait ses calculs et ses intuitions pour faire fortune.
On referme le roman Trust en se demandant ce qui est vrai, comment on peut vouloir réécrire l’histoire autant. On pense à la série Successions, aux batailles entre famille. On se demande pourquoi Vanner a écrit une mort si douloureuse pour « sa » Helen… et si ce n’est pas Mildred qui l’a orienté.
Je me suis aussi demandé si je n’avais pas raté des infos pour mieux comprendre le roman, comme quand j’avais lu le Goncourt 2020, l’Anomalie (je vous recommande de lire cet article !)
Bref, de nombreux tiroirs à explorer dans ce superbe Trust d’Hernan Diaz !
Et vous, vous avez encore des questions après l’avoir lu ?
A quel moment avez-vous senti que c’était Mildred le cerveau ?
Je vous lis dans les commentaires !
Votre ami,
Sélim