Talking to strangers de Malcolm Gladwell vient de sortir et fait partie de cette catégorie des « instant classics » : il explique si bien comment devenir à l’aise en société, comment trouver sa place en soirée, comment mieux comprendre les autres qu’il devrait être obligatoire… pour tout le monde !
Savoir parler aux inconnus, parler aux étrangers : ça nous fait tous peur, pour différentes raisons que Malcolm Gladwell, le génial auteur britannique évoque dans son nouveau best-seller Talking to strangers.
Et il nous explique très clairement pourquoi nous ne sommes pas doués pour la communication, et pourquoi nous interprétons souvent mal la communication des autres.
Si comme moi, vous avez parfois du mal à comprendre… pourquoi les autres ne vous comprennent pas (version égocentrique) et pourquoi vous ne comprenez pas les autres (version plus altruiste), le livre Talking to strangers devrait vous aider à développer vos compétences sociales.
Mon avis sur le contenu, la forme, le fond… mais sachez que je risque de ne pas être objectif : j’ai suivi la Masterclass de Malcolm Gladwell sur l’art d’écrire un livre, et je le trouve fascinant.
Avant de lire Talking to strangers, j’avais déjà dévoré le reste de ses ouvrages.
Mon histoire avec Malcolm Gladwell a commencé avec son livre The Tipping Point, en français Le point de bascule : Comment faire une grande différence avec de très petites choses.
Dans ce livre de vulgarisation, il nous expliquait le concept d’épidémie, de viralité, qu’on utilise beaucoup en marketing pour répandre de nouvelles idées, pour vendre de nouveaux produits.
L’idée du Point de bascule est simple : pour comprendre l’émergence des modes, la naissance des best-sellers, ou tout autre changement a priori mystérieux, il suffit de les concevoir comme des épidémies. Marketing, tabagisme, idéologie religieuse, il utilise de bons exemples.
Après avoir dévoré ce premier livre, j’ai découvert La Force de l’intuition : Prendre la bonne décision en deux secondes, puis Tous winners ! Comprendre les logiques du succès, et enfin La loi de David et Goliath : pourquoi nos points faibles sont nos meilleurs atouts.
Journaliste au New Yorker, Malcolm Gladwell est à la croisée de chemins entre le motivateur, le coach, le conférencier. J’apprécie sa capacité à simplifier les concepts qu’il présente, toujours des concepts positifs.
Un peu comme on parle de films « feel good », on pourrait dire que lire du Malcolm Gladwell redonne la patate, vous rend confiance en vous, vous donne envie de croire en vous… et vous instruit !
Et j’ai été encore plus conquis en suivant la Masterclass où il détaillait ses techniques d’écriture : comment lui venaient ses idées, comment il choisissait les titres de ses livres, combien de temps il passait sur la réécriture et les corrections…
J’attendais donc avec impatience la sortie de Talking to strangers de Malcolm Gladwell.
Même si cela fait 10 ans que je travaille dans le milieu de la communication, il est toujours important de se replonger dans les bases de la conversation et des relations sociales.
Un peu comme quand je vous recommande de relire chaque année « Comment se faire des amis » de Dale Carnegie : on connaît ces concepts, mais un rafraîchissement fait toujours du bien.
Talking to strangers, c’est pour qui ?
Pour tous les curieux qui veulent en apprendre plus sur la communication.
Pour tous ceux qui comme moi aimeraient bien trouver la bonne solution pour faire passer un message à leurs voisins (« fermez-la »), mais sans être violent, ni agressif, et pour que les effets de cette communication soit durables.
Je le recommanderais vraiment pour tous ceux qui traversent une mauvaise passe : ça peut aider à rectifier votre manière de communiquer.
C’est pour tous ceux qui veulent mieux décrypter les gens.
Enfin, lisez Talking to strangers si l’injustice vous sort par les trous de nez, et que vous ne comprenez pas pourquoi certains criminels s’en sortent si facilement, alors que l’abus vous saute aux yeux… mais qu’autour de vous, les autres semblent ne rien voir…
La grande leçon de communication de Talking to strangers de Malcolm Gladwell
Comme d’habitude, ce qui fascine chez Malcolm Gladwell, ce sont les histoires qu’il choisit pour illustrer ses théories.
Et dans Talking to strangers, il nous prend directement aux tripes avec les incompréhensions (euphémisme) entre les flics blancs et les victimes noires aux Etats-Unis, qui ont conduit au mouvement Black lives matter.
Dès le premier chapitre, on lit la retranscription de ce policier qui arrête une jeune femme noire parce qu’elle n’a pas mis son clignotant pour signaler le changement de voie.
Sandra Bland s’est pendue, le 13 juillet 2015, dans sa cellule de prison dans le comté texan de Waller.
Trois jours après avoir été contrôlée au volant par un policier, parce qu’elle n’avait pas mis son clignotant pour changer de file. Le contrôle avait ensuite dégénéré en altercation.
C’est le point de départ de Talking to strangers : comment le fait de ne pas comprendre un inconnu peut dégénérer à ce point ? Comment le fait de parler à un étranger, quand on n’a pas les mêmes codes, peut conduire au pire ?
Aucun répit de la part de Malcolm Gladwell qui veut être lu : il nous met face à notre nullité quand il s’agit de juger le caractère des autres.
Vous pensez que vous êtes complexe, mystérieux, génial… mais vous trouvez les autres très faciles à comprendre ? Très faciles à cerner ? Il n’en est rien.
Il faut lire l’histoire des très mauvais dirigeants anglais et français face au Führer.
Chamberlain, Daladier, Halifax qui ont rencontré Hitler en personne et ont vraiment cru en 1938 qu’il se contenterait d’annexer les Sudètes.
(Spoiler alert : raté, vous avez mal jugé le personnage, et pire que tout, vous avez cru à ses promesses).
On lit la correspondance de Chamberlain, qui écrivait que c’était OK, Hitler lui avait « donné sa parole ».
Pourquoi croit-on qu’en rencontrant une personne face à face, on en saura plus sur elle ? Sur ses motivations ? Sur sa sincérité ? Visiblement, notre logiciel interne est faillible : nous sommes de piètres juges, et nous nous faisons régulièrement arnaquer en accordant trop facilement notre confiance à des escrocs…
Le souci, mes amis, c’est que même en regardant quelqu’un dans les yeux, même en analysant le langage corporel des autres, on reste aussi nul !
Il y a un endroit où ça va poser un souci : pour les personnes au tribunal, et pour les juges notamment !
Des juges qui doivent prononcer des peines et des sentences, fondées sur une intime conviction, acquise lors de face à face avec les potentiels coupables.
Alors que faire de ces étrangers qui ne communiquent pas de la même manière que les juges ? Les relâcher parce qu’on les « sent bien » ? Ou les appréhender parce qu’ils présentent vraiment des risques pour la société ?
Je vous dis la vérité : je n’aimerais pas avoir cette lourde charge sur les épaules.
La première partie du livre termine avec la présentation de l’homme qui a fait tomber Bernie Madoff, le plus grand escroc connu à ce jour. 65 milliards de dollars d’escroquerie !
Pour rappel, Madoff a été condamné à 150 ans de prison en 2009.
Encore une fois, Malcolm Gladwell raconte une histoire : celle de Markopolos. Harry Markopolos. Un inconnu pour vous et moi.
C’est un « petit » analyste financier qui dès 1999 a envoyé des rapports à la SEC (l’équivalent de notre AMF, l’Autorité des Marchés Financiers, la police de la Bourse) pour avertir que l’entreprise de Madoff cachait quelque chose.
Qu’un tel niveau de réussite financière était logiquement, mathématiquement impossible.
Markopolos est un lanceur d’alerte.
Sans avoir jamais rencontré Madoff. Juste en étudiant les chiffres, il savait.
Et pourtant, personne ne l’écoutait. Les plus hautes autorités financières ne pouvaient le croire parce que Madoff savait rassurer ses interlocuteurs, savait les manipuler quand il les regardait dans les yeux.
L’autre héros qui n’a pas eu besoin de rencontrer son adversaire, ni de le regarder dans les yeux pour prendre la pleine mesure de ses vraies intentions ? Churchill, bien évidemment !
Alors pourquoi est-on aussi mauvais ? Pourquoi sommes-nous de piètres juges de la personnalité des autres ?
Malcolm Gladwell nous présente la réponse, qui nous vient du psychologue Tim Levine, qui défend la théorie du « Truth-Default Theory » ou TDT. En français : la théorie du « la vérité par défaut ».
Vous savez, quand vous téléchargez un logiciel, vous pouvez le configurer à votre sauce et mettre le nez dans tous les paramètres, ou bien gagner du temps et utiliser la version par défaut.
Pareil quand vous arrivez sur un site internet : soit vous paramétrez tous les cookies, toutes les autorisations pour la pub et la collecte de données, soit vous acceptez le mode par défaut, vous cochez « oui – accepter tout » et vous allez plus vite.
La version par défaut, c’est celle qui va convenir au plus grand nombre.
L’idée défendue par Tim Levine, c’est qu’en termes de communication, l’être humain a évolué en mode par défaut « l’autre me dit la vérité ».
Le TDT (Truth-Default Theory) signifie que quand votre collègue vous dit qu’il ne veut pas la promotion que vous voulez, vous allez le croire.
Ce branchement « en mode vérité » signifie que quand votre femme vous dit qu’elle était avec une copine pendant 3 heures, vous la croyez.
Daladier et Chamberlain se sont fait promener par Hitler à cause de ce mode naïf, ce mode « confiant par défaut ».
Nous sommes équipés de ce mode de communication pour nous faciliter la vie en société.
Vous imaginez, si nous étions configurés en mode « mensonge par défaut », si nous doutions toujours de TOUT ce que nous disent les autres ?
Si nous étions tout le temps parano ?
C’est le cas de Markopolos, qui ne croit jamais rien, s’est acheté des armes car il pensait que le gouvernement allait l’abattre, voit le complot partout.
Sa vie est un enfer. Et ce mode « mensonge par défaut » a commencé parce que quand il était enfant, il voyait les clients voler son père.
Il voyait les propres employés de son père voler la marchandise au restaurant.
Très jeune, son cerveau s’est mis en mode « tout le monde ment et vole », par défaut. Il ne voit pas la vie en rose, mais à travers des lunettes noires : tout est suspect pour lui.
C’est le cas pour mon père aussi, gendarme retraité. Confronté à des plaintes quotidiennes au travail, sa vision de l’humain était plutôt pessimiste.
Sa philosophie, en matière de communication avec les autres ? Il nous a élevés ainsi avec mon frère : « Dans ce que les gens te disent, il y a 1/3 de vrai, 1/3 d’exagération, et 1/3 de mensonges. »
On n’a pas vraiment été élevé dans la loi de l’attraction, la naïveté et le TDT, mais plutôt le mensonge par défaut : « voyez le mal partout pour ne pas vous faire avoir ».
J’ai failli céder à cette vision négative du monde quand j’étais vendeur, et que je repérais le vol dans le magasin où je travaillais.
J’ai voulu créer une entreprise de sécurité où j’aurais aidé les entreprises à trouver leurs points de vulnérabilité face au vol.
Je sentais ces choses négatives arriver parce que j’étais concentré sur le négatif, le vol, la violence, le mensonge.
C’est très compliqué de tenir, psychologiquement, quand vous n’êtes pas en TDT (vérité par défaut). Vous devenez parano.
Votre communication avec les autres s’en ressent. Vous pensez qu’on veut vous arnaquer. Vous vous renfermez sur vous-même.
Vous pensez que votre femme veut vous tromper. Que tout le monde veut profiter de vous. Que les autres se moquent de vous dans votre dos.
Selon Tim Levine, le TDT, « la vérité comme mode par défaut », nous permet de mieux collaborer ensemble, de mieux nous entendre, et d’être plus stable au niveau psychologique.
Certes, les manipulateurs profiteront toujours de votre TDT, mais à long terme, vous serez bien plus heureux.
Dans Talking to strangers, vous lirez aussi les histoires de ces espions cubains qui travaillaient… à la CIA, sans qu’aucun Américain n’arrive à les démasquer pendant des années, à cause du TDT.
Vous lirez toutes ces histoires “trop grosses pour être vraies”, “lui, pédophile ? Non, pas possible, il est si gentil…”, qui sont liées au TDT. Comment Hitler a endormi tout le monde. Comment Fidel Castro s’est joué de la CIA pendant une génération…
Sans aucune hésitation,
Si vous voulez apprendre à mieux communiquer et à mieux “lire” les autres,
Je vous recommande la lecture de Talking to Strangers : what we should know about the people we don’t know
En anglais,
400 pages
PS : en me promenant sur Amazon US et UK, j’ai ri en voyant les deux couvertures différentes. Très “communication” pour la version US, très “séduction” pour la version british ! Tout à coup, ce n’est plus le même livre qu’on promet !
Vous achèteriez plus laquelle ? La communication très clinique des US, ou la rouge choisie par l’éditeur anglais ?
Sélim, apprenti communicant en mode TDT
Salut, j’apprécie particulièrement le roman « Talking to Strangers » de Malcolm Gladwell. Par ailleurs, j’aime bien ta critique de ce livre. Je te souhaite une bonne continuation pour tes prochains blogs.
Pas mal si l’exemple ‘gendarmesque’ est vrai… 🙂
Autrement, systématiquement je conseille Black Swan de Nicholas Taleb (professeur de polytechnique à la NYU avec un style bavard à la Umberto Eco) dont le core théorique se vérifie d’année en année et de plus en plus fréquemment : la croissance irrésistible de la data, de l’interconnexion, accroîtra le surgissement de l’avènement d’évènements globaux, imprévisibles, puissamment impactants, sans précédents.
Merci Fabrice pour le complément d’infos ! Ca fait plaisir de voir que Taleb est toujours recommandé (je l’ai dans la bibliothèque, évidemment…)