“Le grand bluff”, ça aurait tout aussi bien pu s’appeler comme ça. La nouvelle pièce de Xavier Daugreilh est forte, très forte, et parle de “Fortitude”. Les fans d’Histoire auront compris qu’on parle du D Day, le débarquement de Normandie le 6 juin 1944. Mensonges d’Etat nous embarque deux heures durant dans les coulisses de la plus grande partie d’échecs jamais jouée par les Nations.
Si vous avez vu la très bonne série Band of Brothers ou encore le multi-oscarisé Saving Private Ryan de Spielberg, on n’y voit que de l’action. On voit le Débarquement, l’avancée des troupes, le sentiment de fraternité qui unit les soldats.
Mensonges d’Etat nous plonge dans les coulisses de ce qui restera dans l’histoire militaire comme étant une des plus audacieuse manœuvres jamais conçues pour duper l’ennemi. Samuel le Bihan a répondu à trois questions que j’ai pu lui poser à la sortie de la pièce.
Comment est-ce qu’on se prépare pour un tel rôle, ce bureaucrate anglais au coeur de la guerre de l’information ?
Samuel le Bihan : “J’ai beaucoup lu sur le sujet et je me suis renseigné… on retrouve énormément d’informations en ligne. Mais ce n’était pas suffisant… Je me suis surtout rendu sur les plages du Débarquement, je suis allé en Normandie pour essayer de ressentir les émotions, essayer de m’approcher au plus près de cet événement, pour comprendre ce que ça a pu être, ce que ça a pu représenter pour les hommes à cette époque. Il fallait que je fasse mienne cet état d’esprit du personnage, comprendre la dimension de vivre un moment unique, et me rendre compte de la fragilité de ce débarquement et l’émotion qui s’en dégage. Notre travail en tant qu’acteurs, c’est l’émotion, faire passer ce que les hommes ont ressenti.”
Votre jeu de stratégie préféré ? Risk ? Les échecs ? Abalone ? Le poker ?
Samuel Le Bihan : “J’ai joué une fois à Risk, et ça a fini en engueulade. Il y a des alliances, qui sont forcément trahies à un moment… et ça finit en bataille entre potes ! Les échecs, voilà un jeu intéressant… Fortitude est véritablement la plus grande partie d’échecs de tous les temps…”
Pourquoi est-ce qu’on doit courir au théâtre de la Madeleine voir Mensonges d’Etat ?
Samuel Le Bihan : “La pièce est éminemment moderne… on vit une époque de surinformation, on pense savoir les choses, mais on est facilement manipulable, on le sait…
Au XXème siècle et avant, on a valorisé l’héroïsme guerrier , maintenant on valorise l’esprit, on voit beaucoup d’affaires de manipulation, on parle beaucoup des escrocs, on sait qu’on est fragilisé. D’un côté tu avais la propagande de Goebbels, et de l’autre côté, Fortitude, c’est vraiment hollywoodien…”
Merci beaucoup pour cette courte interview ! Evidemment, Samuel le Bihan ne vous dit pas tout, pour ne pas gâcher la pièce, et je ne vous en dirai pas beaucoup plus. La pièce passe vite, bien qu’on connaisse déjà le dénouement. Ce n’est pas l’issue de la bataille qui nous fascine et nous scotche.
Ce sont tous ces tiroirs, ces poupées russes imbriquées les unes dans les autres. Je suis fasciné par les histoires d’espionnage, de contre-espionnage. Après le tournant de 1942, Hitler commence à ne plus tenir en place… Après les tentatives d’assassinat, il fait de moins en moins confiance aux autres, même à ses proches. On le sait souffrant et shooté, dopé comme pas permis pour tenir le rythme des réunions avec son Etat Major, pour être présent sur tous les fronts.
L’opération “Fortitude” est l’illusion parfaite. Qui dure. Dans le cinéma, ce procédé narratif s’appelle “The long con”, ou “The big con”… un enchaînement de tromperies pour duper l’adversaire.
Dans Mensonges d’Etat, les acteurs sont bons, une seule femme sur scène, mais quelle vivacité pour Marie-Josée Croze en espionne qui nous aimait… Superbe rôle aussi pour Jean-Pierre Malo, l’interprète du Général Patton. Le rôle de Patton, au foot, on appellerait ça du jeu sans ballon. Une maîtrise du storytelling inégalée (à part en Irak, avec l’histoire des sosies de Saddam Hussein…)
Je m’arrête là avant de tout vous raconter : gros kiff si vous voulez voir une pièce sérieuse en cette fin d’année.
Retrouvez une interview de Samuel le Bihan par Elise Lucet ci-dessous.